Les lieux sacrés de Notre-Dame

Il est vraisemblable que les êtres humains, quand ils eurent pris conscience de l’existence d’un monde suprasensible, aient considéré la notion de sacré comme inhérente à la vie quotidienne. Mais il est tout aussi vraisemblable que, les spéculations métaphysiques se développant en marge de l’activité matérielle, ils aient fini par admettre que le sacré pouvait parfois être séparé du profane et se réfugier dans des endroits privilégiés. Comment ces endroits furent-ils déterminés ? Nul ne le sait, mais il est incontestable qu’ils étaient reconnus comme tels depuis la plus lointaine préhistoire. Sans doute fit-on intervenir la sensibilité, une sorte de sixième sens branché sur les courants cosmiques ou telluriques, sur l’énergie qui émanait de certains lieux, sur le paysage lui-même. On ne peut rejeter cette hypothèse quand on sait que les sanctuaires, quelle que soit la religion pratiquée, sont toujours situés dans ces mêmes lieux. Et puisque le sacré y paraissait enfermé, il était bon d’y aller en certaines occasions afin de se « recharger », afin de se régénérer au contact des puissances invisibles qui avaient envahi ces domaines réservés. Telle dut être l’origine des pèlerinages, ceux-ci étant attestés dans les périodes les plus lointaines de la préhistoire.

Le christianisme, héritier de tant de rituels antérieurs, n’a pas dérogé à cette pratique. Très tôt se sont développées des « visites » sur les lieux mêmes de la passion du Christ, sur les emplacements où étaient enterrés les martyrs et les saints, sur les traces des apôtres, et bien entendu de Marie, en particulier à Éphèse où se trouvait, supposait-on, sa maison. Ces pèlerins essayaient tous de s’imprégner de l’aura sacrée laissée par des personnages divins ou sanctifiés. C’est une constante chez tous les peuples du monde de rechercher le contact intime avec un être exceptionnel sinon divin afin de bénéficier de son rayonnement. Ainsi s’explique le culte des reliques : un objet ayant appartenu à un saint personnage est nécessairement sanctifié et le seul fait de le toucher est susceptible d’assurer une communication étroite, une véritable communion, entre celui qui est arrivé et celui qui désire arriver au plus haut degré du sacré, car tout le monde ne peut pas être saint mais désire le devenir. Et puis, il y a, quelle que soit l’idéologie, la sensation qu’un lieu est chargé et que cette charge peut être répartie sur tous ceux qui s’en approchent. Ce concept, loin d’être naïf ou ridicule, est le témoignage d’une certitude inhérente à l’esprit humain selon laquelle la créature doit, à un moment ou à un autre, fusionner avec son créateur – ou tout ce qui côtoie le créateur – pour obtenir la puissance de poursuivre l’œuvre de création.

Un tel état d’esprit ne pouvait que favoriser des lieux consacrés à la Theotokos. Mais, comme on ne pouvait prétendre à une présence effective de la Mère de Jésus en Europe occidentale, c’est par des voies détournées qu’on réussit à instaurer un culte marial. De là provient cette légende de la Virgo paritura, cette Vierge sur le point d’enfanter qu’auraient vénérée les druides, et qui n’est qu’une création cléricale du IXe siècle à Chartres. Cependant, par le fait même que les religions préchrétiennes honoraient une déesse mère, il était facile de passer d’une idéologie à une autre : le rituel demeurait le même. Il suffisait d’avaliser la légende de la Virgo paritura et d’en découvrir les preuves manifestes sous forme de statues conservées depuis la nuit des temps ou retrouvées miraculeusement, sinon importées d’Orient par quelque pieux pèlerin ayant accompli son retour aux sources.

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